Psychosomatique ou symptôme-présent ? Deux chemins différents
j’entends le symptôme comme un présent vivant. »
Résumé
La psychosomatique cherche à relier le corps, la psyché et le social pour éclairer la maladie. Ma position part d’un autre point : le symptôme comme événement dans l’instant. Je lis ce signe présent comme l’index d’un état plus fondamental — une inflammation chronique (pyrodémie) nourrie par un dérèglement des rythmes. La cible devient l’autoguérison en réaccordant la biorhythmie, avant toute mise en récit. Les deux approches ne s’opposent pas ; elles divergent par leur point de départ et leur cible première.
1) La psychosomatique : un héritage précieux… mais causal
La psychosomatique est née pour réparer une fracture : on ne soigne pas un corps sans son âme, ni un organe sans son monde. Des pionniers comme Weizsäcker et Mitscherlich ont réintroduit le sujet dans la médecine : sa parole, ses liens, son histoire, ses contextes. Aujourd’hui, ce courant s’exprime souvent comme « consultation-liaison », où l’on travaille au chevet du patient avec une grammaire biopsychosociale : symptômes, vécu, famille, travail, précarités, etc.
Ce regard a des forces évidentes : il humanise, relie, élargit. Il sait que le diabète n’est pas qu’une glycémie, que l’asthme n’est pas qu’un débit expiratoire, que le cancer n’est pas qu’une mutation. Il sait aussi que la qualité de vie est pas une variable secondaire. Mais, au cœur de sa méthode, demeure un réflexe : retrouver des chaînes de causes (récits, traumas, stress, conditions) pour expliquer le symptôme d’aujourd’hui. Autrement dit : une orientation fondamentalement causale et souvent rétrospective.
2) Mon approche : le symptôme-présent et la pyrodémie
Je pars d’un autre lieu : l’instant. Un symptôme n’est pas seulement la pointe d’une histoire ; il est un événement qui arrive maintenant, une coïncidence souvent malheureuse qui interrompt le cours des choses. Plutôt que de l’absorber immédiatement dans un récit causal, je le laisse nous orienter : que dit-il, ici et maintenant ? Vers quel niveau de vie pointe-t-il ? (Bios, Zao, Psyché, Zoé, Poïésis, Agapé, Gnosis, Kénosis).
En dessous de la diversité des causes, j’observe un état plus profond : une inflammation chronique de bas grade — ce que j’appelle pyrodémie. Ce n’est pas « une cause de plus », c’est le milieu où prospèrent les causes, le terrain où les maladies prennent du sens. Et cet état est intimement lié à une chose simple et puissante : nos rythmes — veille/sommeil, activité/repos, lumière/obscurité, attention/retrait. Quand ces rythmes se dérèglent, l’inflammation se nourrit ; quand on les réaccorde, l’autoguérison retrouve de la prise.
Concrètement : le premier traitement me sert de révélateur. S’il éteint le symptôme, tant mieux. S’il le déplace, s’il le transforme, c’est un indice de translation : le problème parlait d’un autre niveau. Je ne recode pas d’emblée en “psychologique” ou “social” : j’ajuste les rythmes, j’allège l’inflammation, et je regarde ce qui change dans le présent vécu.
3) Ressemblances… et vraies divergences
Ce que nous partageons
Nous refusons le réductionnisme d’organe. Nous reconnaissons la singularité des personnes. Nous savons que la première consultation n’épuise pas le sens d’un symptôme et que le suivi rectifie la trajectoire.
Ce qui nous distingue vraiment
La psychosomatique explique en reliant passé, psyché et contexte, puis elle intervient volontiers sur ces facteurs. Mon approche commence par le présent du symptôme et cible d’abord un état : l’inflammation chronique entretenue par un dérèglement des rythmes. En réaccordant ces rythmes, on rend au corps sa capacité d’autoguérison. Ensuite seulement, s’il reste des nœuds, on ouvre le chapitre des histoires, des environnements, des choix.
Autrement dit : la psychosomatique traite fréquemment les conditions de vie comme cibles premières ; je les considère d’abord comme des conséquences ou des résonances d’un état rythmique-inflammatoire. Nos chemins se croisent souvent, mais nous ne mettons pas la même chose au départ, ni au centre.
4) Médecine psychosomatique versus ma Médecine du symptôme présent
D’où vient la psychosomatique (et ce qu’elle vise vraiment)
- Genèse — La psychosomatique naît au XXᵉ siècle pour intégrer « facteurs psychiques et contexte » dans la médecine. Aux États-Unis, Helen Flanders Dunbar joue un rôle fondateur (American Psychosomatic Society, revue « Psychosomatic Medicine »), avec la thèse que l’on ne soigne pas un corps sans l’âme ni l’environnement du patient. Elle encourageait « la reconnaissance du rôle de la spiritualité en médecine. Dunbar croyait en la combinaison de l’art et de la science, qui se manifestait dans une attitude holistique.[…] Ses études ont également conduit à la découverte d’une propension aux accidents qui, tragiquement, pouvait s’appliquer à sa propre vie. Ce fut une découverte fortuite (serendipity) lorsqu’elle utilisa des patients hospitalisés en orthopédie comme groupe témoin par rapport à d’autres groupes de patients, pour constater que les premiers revenaient sans cesse avec des blessures. (The British Journal of Psychiatry (2023) 222, 81. doi: 10.1192/bjp.2022.135)
- École classique — Franz Alexander popularise la “Chicago seven” (ulcère, asthme, hypertension essentielle, neurodermite, polyarthrite rhumatoïde, hyperthyroïdie, colite) : des maladies où des « patterns psychodynamiques » seraient centraux (vision aujourd’hui historicisée/nuancée). (https://academic.oup.com/book/24423/chapter-abstract/187403406?redirectedFrom=fulltext)
- Volet anthropologique germanophone — Viktor von Weizsäcker propose d’ »introduire le sujet” dans la médecine (médecine anthropologique, Gestaltkreis : la réponse biologique est reconfigurée par l’expérience). Alexander Mitscherlich consolide l’institution psychosomatique d’Heidelberg après-guerre et défend une médecine attentive au sujet, aux traumas, aux conditions historiques. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27514115/)
- Actualisation — La psychosomatique moderne se décline surtout en consultation-liaison (C-L) en milieu somatique : compétences psychiatriques appliquées aux services de médecine/chirurgie, intégration bio-psycho-sociale. (Consensus international, rôles et compétences). (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S003331821000023X)
- Modèle de référence — Le modèle biopsychosocial de George Engel (1977) demeure la charpente : biologie + psychologie + social comme “schéma pour l’action” clinique. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23002701/)
En bref : la psychosomatique cherche les liaisons entre psyché, corps et contexte, et tente d’agir sur ces dimensions (psychothérapies, interventions sociales, coordination C-L, etc.). ([pmc.ncbi.nlm.nih.gov][6])
Ce que je proposes (symptôme-présent / pyrodémie / biorhythmie)
- Point de départ : non pas une chaîne causale rétrospective, mais l’événement du symptôme dans l’instant (coïncidence concrète, “ici et maintenant”), lu comme signal de translation entre niveaux de vie.
- Hypothèse centrale : au-dessous des causes multiples se tient un état fondamental d’inflammation chronique de bas grade (ma “pyrodémie”), proche de ce que la littérature scientifique décrit comme inflammaging : une inflammation stérile, diffuse, persistante, qui prédispose et aggrave de nombreuses maladies. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30046148/)
- Cible thérapeutique : soutenir l’autoguérison en réaccordant les rythmes (veille–sommeil, activité–repos, synchronisation sociale et lumineuse), parce que rythme circadien et immunité sont couplés (une désynchronisation favorise la dérive inflammatoire). (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7030790/)
En bref : plutôt que d’expliquer le symptôme par une biographie ou des “causes” psychiques/sociales, je l’accueilles comme présent vivant et je vises l’état inflammatoire (et son réglage rythmique) comme cœur opératoire.
Où ça se ressemble (vraies convergences)
- Chaque patient est singulier : psychosomatique et ma clinique refusent l’“homme normalisé” et plaident le rare, bizarre et curieux, 3 expressions qui le repositionnent dans sa subjectivité incomparable (Weizsäcker : introduction du sujet ; Engel : cadre biopsychosocial pour l’individuel). (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27514115/)
- Dépassement du biomédical strict : toutes deux refusent le “tout-organe” / “tout-mécanisme” et cherchent une compréhension élargie du malade. (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9703351/)
- Attention aux itérations : la psychosomatique C-L et ma “deuxième consultation” partagent l’idée que le premier traitement révèle quelque chose (ajustement au suivi). (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S003331821000023X)
Où ça diffère fondamentalement (les vraies frontières)
| Axe | Psychosomatique (classique → actuelle) | Ta position (symptôme-présent / pyrodémie / rythme) |
|---|---|---|
| Principe organisateur | Lien causal entre psyché, social et soma ; anamnèse narrative, modèles explicatifs (d’abord psychanalytiques, puis biopsychosociaux). | Principe rythmique–état : le symptôme = événement présent signalant un état inflammatoire sous-jacent ; priorité au réaccord de la biorhythmie pour relancer l’autoguérison. |
| Cible de l’intervention | Facteurs de vie (psychiques, familiaux, sociétaux) et symptômes somatiques (C-L, psychothérapies, coordination de soins). | État inflammatoire (pyrodémie) + réglages rythmiques (sommeil, lumière, activité) comme leviers premiers ; le récit peut suivre, mais ne guide pas. |
| Temporalité | Souvent rétrospective : biographie, traumas, stress, conditions. | Prospective depuis le présent : partir du maintenant (coïncidence symptomatique), tester/ajuster, lire la translation inter-niveaux sous traitement. |
| Statut du contexte | Le contexte (familial, social, travail) est fréquemment une cible directe d’intervention. | Le contexte est vu d’abord comme conséquence/résonance d’un dérèglement rythmique-inflammatoire : on le regarde, mais on agit d’abord sur l’état et les rythmes. |
| Langage clinique | « Biopsychosocial », consultation-liaison (psychiatrie intégrée à la médecine somatique). | « Symptôme-présent / autoguérison / rythmes », avec pyrodémie comme nom opératoire de l’état-socle. |
Réponses aux objections fréquentes
- N’est-ce pas de la psychosomatique, finalement ?”
Non, parce que la cible change : la psychosomatique intervient sur psyché/social (quand ils sont centraux), alors que je priorises un réglage d’état (inflammation-rythme) avant de toucher à l’histoire personnelle. Je n’exclus pas ces facteurs, mais je ne les traites pas comme causes premières. (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9703351/) - “Pourquoi tant insister sur les rythmes ?”
Parce que les horloges circadiennes modulent immunité et métabolisme ; leur rupture entretient uneinflammation de bas grade (le “terrain” où poussent les maladies). Restaurer le rythme n’est pas un “conseil de vie” annexe : c’est du mécanisme (immuno-chronobiologie). (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7030790/) - “Où place-tu le ‘biopsychosocial’ d’Engel ?”
Utile pour cartographier, mais tu reclasses la hiérarchie :état-rythme → ensuite psyché/social si besoin. En d’autres termes, le BPS te sert de cadre de lecture, pas de butoir causal. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23002701/)
En bref
“La psychosomatique cherche les liens entre psyché, social et corps et agit souvent sur eux (psychothérapies, contexte).
Mon approche part du symptôme dans le présent et vise d’abord unétat : l’inflammation chronique entretenue par un dérèglement des rythmes. En réaccordant ces rythmes, on relance l’autoguérison ; ensuite seulement, on voit ce qu’il reste à faire sur l’histoire, le social, le travail, etc.” (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30046148/)
Je ne choisis pas entre expliquer et écouter. J’articule. La causalité garde sa place : elle sécurise les décisions, repère les urgences, évite les erreurs. Mais le point de départ est le présent du symptôme ; la cible, l’autoguérison par la biorhythmie et la décrue du feu inflammatoire. À ce prix, le soin redevient une rencontre : un art de soutenir la vie là où elle travaille déjà.