Retrouver le vrai point de départ dans la rencontre médecin–patient
La guérison commence quand ces deux temps se rencontrent. »
Le symptôme est le point de départ d’une consultation, mais il subit trois biais structurels : le langage qui efface le présent, la pensée causale qui enferme en chronologie, et le nivellement vers le corps seul. D’où la nécessité d’un suivi : le premier traitement agit comme révélateur de translations vers d’autres niveaux de vie. Du cadre pandémie → syndémie → pyrodémie, on passe d’une action « contre » le mécanisme à une action « pour » l’organisme, où l’autoguérison devient la vraie cible.
Le symptôme comme commencement
Toute rencontre entre un patient et un médecin commence par un symptôme. Ce symptôme, c’est une douleur, une fatigue, une angoisse, un trouble du sommeil, une altération de l’appétit, des palpitations ou mille autres formes par lesquelles le corps se manifeste. Il est le premier langage de la consultation. Le patient ne vient pas avec un diagnostic, il ne vient pas avec une maladie, il vient avec ce qu’il vit, là, maintenant, dans son corps.
Ce langage premier, pourtant, se perd rapidement. Le médecin, en cherchant à comprendre et à aider, traduit le symptôme en catégories médicales, le compare à des maladies déjà répertoriées, l’inscrit dans un tableau plus vaste. Ce qui surgissait comme événement singulier devient alors élément d’un dossier, intégré à une logique statistique, à une mémoire accumulée. Ainsi, dès la première consultation, se pose une question décisive : comment écouter le symptôme sans le réduire à une simple manifestation d’une maladie ?
Trois obstacles structurels
Le symptôme, en tant que point de départ, souffre de trois obstacles majeurs qui en détournent la puissance:
1) Le langage
L’étymologie rappelle que sýmptoma signifie « ce qui tombe avec », la coïncidence. Le symptôme est un événement dans l’instant, un signe qui tombe sur nous comme un hasard signifiant. Mais lorsque le patient cherche à le dire, il le traduit dans une langue qui offre peu de moyens d’exprimer le présent pur. Les mots disponibles orientent le récit vers le passé ou vers le futur. Le patient dit :
- « J’ai eu le Covid »,
- « J’ai été vacciné »,
- « Je me suis séparé »,
- « J’ai eu un accident »,
- « Ce traitement me donne des effets secondaires ».
Le symptôme immédiat est ainsi happé par une narration temporelle. Il n’est plus entendu comme événement actuel mais ramené à une histoire, à des antécédents, à une causalité.
2) La pensée causale
Le langage impose sa logique : « si… alors… », « parce que… donc…». Cette pensée causale est utile pour agir et transmettre, mais elle appauvrit le symptôme. Au lieu de l’habiter comme coïncidence vivante, le patient cherche à l’expliquer par une suite d’événements. Ce faisant, il le retire de l’instant pour l’inscrire dans un récit linéaire, qui rassure peut-être, mais qui trahit ce que le symptôme voulait dire.
3) Le nivellement vers le bas
Enfin, le symptôme est presque toujours ramené au corps biologique : une douleur articulaire, une éruption cutanée, une palpitation cardiaque. Or, il pourrait être entendu comme le haut-parleur d’autres niveaux de vie – psychique, relationnel, spirituel, créatif. Et la première consultation va dans le même sens : pressée de nommer une maladie et de proposer un traitement, elle réduit ce signe multiforme à son expression la plus visible. Le symptôme devient un signal biologique, et rien de plus.
Conséquence : la nécessité d’un suivi
De là vient que la première consultation est incomplète. Le médecin se concentre sur les maladies connues, les protocoles établis, les risques calculés ; le patient s’en tient à son récit causal. Mais le symptôme n’a pas encore livré son vrai sens. C’est pourquoi un suivi est nécessaire. Le premier traitement agit comme une épreuve révélatrice :
- Soit le symptôme disparaît, confirmant l’hypothèse initiale,
- Soit il persiste, se déplace ou se transforme, indiquant que le problème se situe ailleurs, dans un autre niveau de vie.
Le suivi devient alors le lieu d’une rectification. Elle ne revient pas en arrière, elle ouvre plus profond.
De la pandémie à la syndémie : un changement de regard
La logique causale qui enferme le symptôme ne concerne pas seulement la consultation individuelle : elle structure aussi la médecine moderne dans son ensemble.
Quand le Covid est apparu, il a été immédiatement défini comme une pandémie : un agent extérieur, un virus, frappant l’humanité entière. L’attention s’est concentrée sur lui comme sur un « corps étranger » : le freiner, le contenir, l’éliminer. Toute l’énergie médicale, politique et médiatique s’est dirigée vers ce combat.
Mais rapidement, des voix se sont élevées pour dire : ce n’est pas seulement une pandémie, c’est une syndémie. Le virus, disaient-elles, n’agit pas seul. Il se nourrit des faiblesses de nos modes de vie et des fragilités de nos environnements. Logement précaire, alimentation déséquilibrée, isolement, surcharge de travail, inégalités systémiques : tout cela prépare le terrain à la maladie.
La syndémie n’est donc pas seulement l’épidémie d’un virus, mais l’interaction d’un agent infectieux avec des conditions sociales, économiques et environnementales. Elle rend visible ce que la médecine oubliait trop souvent : que la maladie est aussi l’effet de notre organisation collective.
C’est une avancée, mais elle reste partielle. Car la syndémie continue de désigner le patient comme une victime : victime d’un virus, mais aussi de son environnement. Elle décrit les chaînes, mais elle ne libère pas. Elle montre les conditions, mais elle ne touche pas encore l’essentiel.
Un pas de plus : de la syndémie à la pyrodémie
Il faut franchir une étape supplémentaire. Les causes externes – virus, conditions sociales, habitudes de vie – ne sont pas les origines profondes de la maladie, mais des révélateurs. Elles révèlent un état ancien, intemporel, qui se réactualise à chaque instant : l’inflammation chronique.
C’est ce que je nomme avec un néologisme pyrodémie. Un feu intérieur qui couve en nous, métabolisme oxydatif déréglé, vieillissement accéléré. Un état constant, qui traverse les siècles et les cultures, et qui attend d’être reconnu. La force de ce concept est de déplacer le regard :
- La pandémie désigne un mécanisme isolé (un agent pathogène).
- La syndémie désigne une interaction de mécanismes (agent + environnement).
- La pyrodémie désigne un état fondamental et non une cause.
La médecine, en restant centrée sur les mécanismes, se condamne à des luttes répétées. La pyrodémie propose un autre horizon : ne plus agir contre un mal, mais pour un organisme en détresse.
Redéfinir la cible : l’autoguérison
L’enjeu devient alors clair : la vraie cible n’est pas la maladie, mais l’autoguérison. Ce processus discret est toujours actif en nous. C’est lui qui fait tomber une fièvre au bon moment, cicatrise une plaie, apaise un choc. Il transforme une coïncidence malheureuse en coïncidence heureuse, une fracture en nouvelle solidité.
La pyrodémie redonne sa dignité à ce processus. Elle l’installe au centre de la pratique médicale : non comme une curiosité marginale, mais comme le cœur même de tout traitement.
Ainsi, le rôle du médecin se déplace. Il ne s’agit plus de combattre des ennemis invisibles ou de corriger des mécanismes isolés, mais de soutenir un être vivant dans son effort permanent de rééquilibrage.
Les chocs naturels : révélateurs ultimes
Quand les causes sociales ou psychiques ne suffisent plus à réveiller la conscience, surviennent les chocs naturels. Épidémies, catastrophes écologiques, bouleversements planétaires : ils apparaissent comme les seuls capables de briser notre indifférence.
Le Covid fut un de ces chocs. Un instant, il a semblé nous rappeler l’essentiel : la fragilité de nos modes de vie, l’urgence de changer. Mais très vite, la conscience collective s’est refermée. L’inflammation chronique, ce feu immémorial au cœur de chacun, n’a pas été reconnue.
Alors les symptômes reviennent, sous d’autres formes, pour exiger d’être entendus. Car tant que nous chercherons des causes extérieures, nous manquerons l’essentiel : ce qui brûle en nous depuis des millénaires, hors du temps, et qui ne demande qu’à être rencontré dans le présent.
Des mécanismes vers un état : pandémie → syndémie → pyrodémie → autoguérison.
Pyrodémie
J’exposes ces idées avancées dans une autre page en nommant cette condition interne qui nous rend malade « pyrodémie », un état de vieillissement accéléré dû à un feu métabolique hors contrôle, paradoxalement plus souvent un feu qui couve et s’étouffe lentement qu’un feu ardent, un feu vital déréglé, un métabolisme oxydatif malade, ce qu’on appelle « inflammation chronique ». Cette expression « pyrodémie » m’est venue comme une évidence en analysant le progrès dans cette idée de « syndémie », terme inventé par Merrill Singer dans le milieu des années 1990. Appliqué au Covid-19, la pyrodémie met le résumé d’un article dans le Lancet en exergue : (Https : //www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32000-6/fulltext)
Cet article du « Lancet » soutient que la COVID-19 ne doit pas être comprise comme une simple pandémie virale, mais comme une « syndémie ». L’infection par le SARS-CoV-2 interagit avec un ensemble de maladies non transmissibles, concentrées dans des groupes sociaux marqués par les inégalités. Cette combinaison renforce les effets négatifs de chaque maladie. Réduire la crise à la seule transmission virale est donc trop restrictif : il faut une approche plus nuancée, tenant compte des dimensions sociales, économiques et sanitaires.
Les 8 niveaux de vie : une cartographie du symptôme
Bios (biologique), Zao (rythmes/activité), Psyché (affect), Zoé (sens), Poïésis (expression), Agapé (lien), Gnosis (connaissance intérieure), Kenosis (vide fécond). Le corps physique agit comme haut-parleur : il rend audible un déséquilibre né ailleurs.
Réduire l’humain à deux dimensions – le corps physique et la psyché – est une simplification héritée de notre histoire médicale. Elle rend le diagnostic efficace, mais elle appauvrit l’écoute. En réalité, nous disposons d’au moins huit niveaux de vie, qui sont autant de plans où un déséquilibre peut se manifester :
- Bios – la vie biologique, organique.
- Zao – la vie active, rythmée, en mouvement.
- Psyché – la vie sensible, affective.
- Zoé – la vie profonde, spirituelle.
- Poïésis – la vie créatrice, expressive, célébrante.
- Agapé – la vie du lien gratuit, de l’amour inconditionnel.
- Gnosis – la vie de la connaissance intérieure.
- Kenosis – la vie du vide fécond, de l’accueil de l’invisible.
Ces huit niveaux ne sont pas isolés, mais en communication constante.
- Un conflit relationnel peut descendre jusqu’à la peau sous forme d’eczéma.
- Une parole empêchée se manifeste par une gorge serrée.
- Une perte de sens se traduit par une fatigue chronique.
Le corps physique apparaît alors comme le socle commun, le lieu où se traduisent les déséquilibres invisibles. Il devient le haut-parleur des autres corps, rendant audible ce qui n’avait pas été reconnu ailleurs.
Les nouveaux symptômes : révélateurs plutôt qu’échecs
Il arrive qu’un patient, sous traitement, voie ses symptômes persister, s’aggraver ou se déplacer. La médecine classique y voit soit un échec thérapeutique, soit un effet secondaire. Mais une autre lecture est possible :
- Si le traitement est juste, il révèle le niveau véritable du déséquilibre.
- Les symptômes deviennent alors des indicateurs de déplacement : ils montrent qu’un problème né dans un autre plan s’exprime désormais dans le corps physique.
Exemple : un patient traité pour une infection cutanée développe, au fil du traitement, des rêves violents et une angoisse sociale. Plutôt que d’y voir un effet secondaire, on comprend que la racine du problème se situe dans la sphère relationnelle (Agapé). La peau n’était qu’un relais. Dans cette perspective, le symptôme n’est pas un obstacle : il est un traducteur. Il signale que la consultation doit se déplacer vers un autre plan, que la guérison ne se joue pas seulement dans le biologique.
Exemples cliniques
Quelques situations illustrent cette logique :
- Eczéma récidivant : derrière l’inflammation cutanée, un conflit relationnel où le patient ne sait pas poser de limites. Le traitement physique soulage, mais c’est la réorganisation du lien qui guérit.
- Anosmie post-Covid : la perte de l’odorat révèle une anesthésie affective. Lorsque l’odorat revient, ce sont aussi les émotions enfouies qui ressurgissent, réchauffant la capacité à aimer.
- Fatigue chronique : les examens biologiques sont normaux, mais le patient vit sans désir dans un travail qui n’a plus de sens. La fatigue exprime une perte de Zoé : une vie spirituelle en attente de réorientation.
- Gorge serrée : infections ORL à répétition, résistantes aux antibiotiques. Le problème est une parole empêchée, une expression créative (Poïésis) qui ne trouve pas son chemin.
- Tremblements parkinsoniens : blocage biologique réel, mais qui traduit aussi une rigidité des croyances. Les tremblements expriment un verrouillage de Gnosis, l’incapacité à lâcher des certitudes devenues stériles.
Ces exemples montrent que les symptômes déplacés ou persistants ne sont pas des échecs du traitement, mais des révélateurs. Ils obligent à descendre plus profond, à élargir la carte de la vie.
Dissociation : patient et médecin sur des voies divergentes
Ce processus met en lumière un fossé grandissant entre patient et médecin.
- Le patient, lorsqu’il accepte d’habiter ses symptômes, progresse vers le présent. Il découvre qu’ils sont des coïncidences vivantes, des signaux qui parlent d’autres plans de son existence. Sa trajectoire est un retour vers lui-même, vers son instant vécu.
- Le médecin, lui, reste attaché à la maladie comme catégorie. Son rôle est de s’enfoncer dans le labyrinthe du passé (antécédents, dossiers médicaux, mémoire scientifique) et du futur (statistiques, projections, risques). Il choisit des traitements pour des maladies codées, pas pour des symptômes vécus.
Le patient avance vers l’instant, le médecin vers la mémoire accumulée et la statistique. Leur dialogue devient difficile, souvent incompréhensible. Quand le patient dit : « Je me sens moins bien sous antibiotique, chimiothérapie, antihypertenseur ou antidépresseur », le médecin répond : « Les études montrent que votre survie s’allonge ». Deux logiques irréconciliables se font face :
- L’une parle de la qualité du présent,
- L’autre de la durée de vie.
C’est la double dissociation : deux trajectoires qui divergent, deux solitudes qui se croisent sans vraiment se rencontrer.
Tableau comparatif (symptômes ↔ niveaux de vie ↔ indices de déplacement)
| Apparition de symptômes sous traitement (Bios) | Origine possible (autre niveau de vie) | Indice de déplacement sous traitement |
|---|---|---|
| Douleurs articulaires, raideurs | Agapé (conflit relationnel) | Rêves de dispute, besoin de limites |
| Céphalées, pression crânienne | Gnosis (surcharge, croyances rigides) | Clarté soudaine, allègement des obligations |
| Fatigue inexpliquée | Zoé (perte de sens) | Questions existentielles, réordonnancement |
| Anxiété diffuse | Agapé / Psyché (rupture de confiance, isolement) | Réparations relationnelles, protection |
| Gorge serrée / ORL | Poïésis (expression empêchée) | Soulagement après écrire/chanter/dire |
| Anosmie | Psyché (anesthésie affective) | Retour de l’odorat + émotions |
| Eczéma | Agapé (frontières abîmées) | Décisions de protection |
| Insomnie | Zao / Poïésis (rythmes, surcharge créative) | Rituels simples, micro-ajustements |
| Tremblements/rigidité | Gnosis (blocage de croyances) | Exploration d’autres points de vue |
| Douleurs digestives | Psyché / Zoé (conflit « non digéré ») | Souvenirs qui émergent, expression |
| Palpitations | Agapé (peur de perdre le lien) | Souvenirs de séparation, sécurisation |
| Lombalgies | Zao / Agapé (charge sociale) | Rêves de travail, rééquilibrage |
Les consultations de suivi : rectifier le tir
La première consultation ne suffit presque jamais. Elle classe, elle rassure, elle propose un traitement. Mais le symptôme, lui, n’a pas encore livré son secret.
Le suivi devient alors décisif. Il n’est pas seulement un contrôle du traitement, ni un simple ajustement de dose. Il est un moment de relecture : on relit les symptômes initiaux, on relit ce qui a changé, on relit ce qui s’est ajouté. C’est là que le premier traitement joue son rôle de révélateur. Si les symptômes disparaissent, l’hypothèse initiale était juste. Mais s’ils persistent, s’ils se déplacent, s’ils se transforment, alors un autre niveau doit être exploré. Quatre tâches essentielles se dessinent :
- Resituer le symptôme dans la cartographie des huit niveaux de vie.
- Rechercher le déplacement : de quel plan vient réellement le trouble ?
- Accueillir les nouveaux symptômes comme révélateurs et non comme échecs.
- Réintroduire le présent comme point de départ de toute pensée médicale.
Le traitement – qu’il s’agisse du bleu ou d’un autre – devient alors un traducteur. Il ne se contente pas de supprimer un signe ; il rend lisible ce qui, dans les autres corps, n’avait pas encore été entendu.
Conclusion : retrouver le vrai point de départ
Un symptôme n’est pas une erreur de fonctionnement. C’est un appel, une coïncidence, une fissure dans le temps qui nous oblige à revenir au présent.
Le médecin qui s’en tient aux maladies codées risque de s’égarer dans la mémoire et la statistique. Le patient qui s’approprie ses symptômes retrouve au contraire une liberté nouvelle : il habite son corps comme un lieu de traduction du vivant.
Le suivi est l’espace où ces deux logiques peuvent enfin se rejoindre. Non plus pour traiter seulement une maladie, mais pour écouter ce que la vie veut dire à travers un corps. Alors, la médecine cesse d’être une lutte contre des causes. Elle devient une alliance avec l’autoguérison, un accompagnement du feu intérieur, une manière d’accueillir les coïncidences – heureuses ou douloureuses – comme des chemins de guérison.