Penser la cause, habiter le symptôme : un dialogue
l’écoute transforme l’aujourd’hui. »
Résumé
La pensée causale, telle que défendue par Walther Riese dans La pensée causale en médecine (1950), a permis à la médecine scientifique de devenir une entreprise rigoureuse : établir des chaînes signes → causes → traitements, fonder des anamnèses solides et des politiques de santé publique. Mais en s’imposant comme principe unique, elle tend à réduire le symptôme à un effet du passé, occultant sa valeur d’événement actuel. Ce dialogue propose de reconnaître la valeur de la causalité, tout en réhabilitant le présent du symptôme comme point de départ opératoire et boussole vers l’autoguérison.
Ce que la pensée causale a apporté
« L’histoire de la médecine est l’histoire de l’étiologie. » (Riese)
La causalité donne un ordre au désordre des symptômes : elle relie, hiérarchise, permet de prédire et de prévenir. C’est grâce à elle que nous avons les vaccins, les antibiotiques, la chirurgie rationnelle. Pour Riese, l’anamnèse n’est pas une simple mémoire : c’est un art causal, qui confère à la médecine son « caractère scientifique ».
Points forts reconnus
- Précision diagnostique par recherche de causes.
- Capacité prédictive et préventive (épidémiologie, santé publique).
- Responsabilité éthique : expliquer pour agir en connaissance de cause.
- Gestion des urgences (hémorragie, infarctus, infection grave).
Là où la causalité atteint ses limites
« Le fait qu’un phénomène survienne après un autre ne signifie pas que l’un soit cause de l’autre. » (Riese)
Riese lui-même met en garde contre le piège du post hoc ergo propter hoc. La succession chronologique ne suffit pas à fonder une explication valable. De plus, la statistique décrit des tendances, non la loi d’un cas singulier : « La médecine ne traite pas des moyennes mais des individus » (Riese).
Limites identifiées
- Le symptôme est réduit à un effet terminal, alors qu’il est un événement présent.
- La statistique éclaire des populations, mais pas la singularité du malade.
- L’excès d’explication fait perdre de vue le vécu corporel immédiat.
Vers une synthèse : cause et présence
Ma clinique propose de ne pas abolir la causalité mais de l’articuler à une écoute phénoménologique : accueillir le symptôme comme coïncidence vivante, et non seulement comme indice rétrospectif. Ainsi, le premier traitement devient un révélateur : s’il déplace ou transforme le symptôme, c’est l’indice qu’un autre niveau de vie est en cause.
« La cause individuelle est toujours singulière, irréductible à une loi générale. » (Riese)
Cette affirmation ouvre déjà un espace commun : la causalité elle-même exige une écoute du cas unique, et donc du présent vécu.
Schéma — Deux focales complémentaires
Clarification : quand la causalité devient trop abstraite
Riese critique le risque de se réfugier dans des termes trop vagues, comme « causes internes » ou « endogènes », qui deviennent des étiquettes plus que des explications. Ce qu’il dénonce, c’est la tentation de construire des entités invisibles qui expliquent tout sans rien dire. Pour le lecteur, on peut traduire cela ainsi :
- Monadologie : considérer chaque organe ou chaque cellule comme une entité close sur elle-même.
- Amphibolie : employer un même mot dans plusieurs sens, ce qui crée de la confusion.
- Hypostase : traiter une idée abstraite comme une réalité concrète.
La Phénoménologie, à l’inverse, invite à rester collé à l’expérience vécue,
à ce qui se donne dans l’instant.
Ainsi, plutôt que d’expliquer un symptôme par un « dedans » mystérieux, je propose de l’accueillir comme un signal situé, inscrit dans l’un de nos huit niveaux de vie. Le corps physique n’est pas un monde clos, mais un haut-parleur qui traduit ce qui se passe ailleurs (relation, sens, expression, amour, connaissance, ouverture).
Conclusion
La causalité a donné un squelette à la médecine. Il nous revient d’y remettre de la chair : le présent du symptôme, l’écoute des translations, l’alliance avec l’autoguérison. Il ne s’agit pas de choisir entre expliquer ou écouter, mais de les faire dialoguer : la causalité pour sécuriser et agir, le symptôme-présent pour ouvrir et transformer.